La municipalité, le deal et le vol des «faut qu’on»

Un problème planétaire; des compétences essentiellement fédérales et cantonales; des pouvoirs en matière de répression délégués à une association intercommunale, l’Association Sécurité Riviera, dotée d’un comité de direction et d’un Conseil intercommunal qui prennent leurs décisions de façon autonome; et enfin le constat largement partagé par toutes les autorités compétentes de «trente ans de lutte sans fin [et sans succès] contre le deal aux quatre coins du canton» (1). Et pourtant c’est la municipalité de Vevey qu’on somme d’agir pour résoudre le problème au plus vite.

Agir comment ? C’est là que les «yakas» se taisent, ou se contentent de ressasser avec véhémence les recettes uniquement répressives dont l’échec est partout constaté. Aucune contribution positive à la recherche de réelles solutions, mais un écho médiatique certain. C’est probablement leur seul but (2).

Lors du Conseil communal du 16 mars, la municipalité a communiqué sur le sujet du deal de rue pour faire un point de situation. Consciente des inquiétudes d’une partie de la population, et soucieuse de traiter cette problématique complexe avec sérieux, elle a lancé,  en 2022, un groupe de travail composé de membres de l’Association Sécurité Riviera (police régionale), et des services communaux de la cohésion sociale et de l’urbanisme, et des associations actives dans le domaine dont l’objectif est de mettre en place une médiation urbaine. Le groupe de travail a constaté les limites des compétences communales et préconise l’engagement d’un·e expert·e pour décider d’un dispositif adapté à la situation veveysanne. 


Dans ce cadre, le groupe Décroissance alternatives est intervenu afin d’amener des éléments cantonaux, puisque c’est à ce niveau que se décide le cadre législatif et que la compétence communale en matière de deal de rue est limitée. 

En septembre 2022, le Grand conseil a débattu et approuvé la stratégie du Conseil d’Etat pour gérer le deal de rue, sur la base d’un rapport du Conseil d’Etat (3). Le projet du gouvernement prône une stratégie pluridisciplinaire contre le deal de rue, qui repose sur les quatre piliers de la stratégie nationale (4) (prévention, traitement, réduction des risques et répression) et intègre la possibilité d’interdiction de périmètre.

Depuis 2016, différents dispositifs policiers ont été conduits dans plusieurs villes du canton afin de déstabiliser le trafic de drogue dans les espaces publics. Les effets de ces dispositifs décrits dans le rapport sont les suivants: la condamnation rapide entraîne une faible proportion de récidive; la rapidité de l’action policière permet de remonter les réseaux de trafiquants importants et de procéder à des investigations dans le but de tenter de les démanteler ; dans les secteurs préalablement identifiés avant le lancement de l’opération, la visibilité du trafic de rue est diminuée aux yeux de la population, grâce au renforcement des opérations policières et au traitement judiciaire accéléré. 

Toutefois, cette stratégie policière a eu pour effet l’augmentation significative du nombre d’interpellations et de condamnations pour infraction à la LStup, entraînant une surpopulation carcérale. Ainsi, environ la moitié des personnes détenues dans le Canton de Vaud le sont pour une infraction en lien avec la LStup. Actuellement, des discussions ont lieu au Grand Conseil sur le fait que le Canton de Vaud est dans l’illégalité concernant ses conditions de détention dans certaines de ses prisons. Par exemple, à la prison du Bois-Mermet, il y a 170 détenus pour 100 places.  

Et surtout: selon le rapport, le trafic ne diminue quasiment pas et se renouvelle en permanence. La majorité des personnes incarcérées sont rapidement remplacées par d’autres personnes dans les filières de deal de rue. Le fait que le deal ne diminue pas s’explique par la forte demande des quelque 14’000 consommateurices, générant ainsi un marché extrêmement lucratif de quelque 80 millions de francs par année. 

Une grande partie des 14’000 consommateurs et consommatrices de cocaïne et d’héroïne sont des citoyemmes vaudois·es dont la plupart sont intégré·es dans la société, loin des clichés qu’on se fait parfois sur les personnes dépendantes . A l’inverse, et nous ne manquerons jamais de le rappeler, le deal est une activité “de survie” menée par des personnes dans des conditions de précarité extrême.

Le rapport insiste sur le fait que depuis 2013, l’aspect répressif a été priorisé par rapport aux autres stratégies des 4 piliers. Il est ainsi nécessaire actuellement de consolider la collaboration entre les partenaires institutionnels, tant au niveau du canton, qu’entre le Canton et les communes vaudoises afin d’appliquer une vision transversale, les mesures sécuritaires ayant atteint leur limite.

En résumé, ce rapport affirme qu’il est illusoire d’espérer une diminution significative de l’offre si l’on ne parvient pas à réduire la demande. Il nous apprend par ailleurs qu’un essai pilote de vente régulée de cannabis sera mis en place très prochainement à Lausanne, ce qui permettra d’évaluer les effets d’une régulation là où ni la répression, ni la prévention, ne sont parvenues à des résultats satisfaisants. Ces quelques éléments montrent à la fois les limites du volet répressif et la nécessité d’élargir son regard plutôt que de concentrer son discours sur le fait que la répression réglerait tout.

Finalement, concernant les nouveaux moyens, notamment son intention de mettre en place de la médiation urbaine, des actions sur l’espace public, ou l’évaluation  de la demande d’une partie du Conseil communal de mettre des caméras, La Municipalité a décidé de se fier aux recommandations de son groupe de travail interdisciplinaire et faire étudier le dispositif adéquat pour Vevey par des experts.

Le «deal» procure des illusions chimiques contre de l’argent. Le populisme procure des illusions politiques contre des voix. Dans les deux cas cela provoque de la dépendance, fait du mal et ne résout rien.

(1) Article de 24 heures du 23.12.2022 https://www.24heures.ch/aux-quatre-coins-du-canton-trente-ans-de-lutte-sans-fin-contre-le-deal-702853199841

(2) Nous ne visons évidemment pas ici celleux qui disent leur malaise, leur sentiment d’insécurité ou d’injustice. Notre critique va à celleux qui tentent d’exploiter ce sentiment à des fins politiciennes

(3) https://www.vd.ch/fileadmin/user_upload/accueil/fichiers_pdf/EMPD-EMPL/EMPL_deal_de_rue.pdf

(4) https://www.bag.admin.ch/dam/bag/fr/dokumente/nat-gesundheitsstrategien/nationale-strategie-sucht/stategie-sucht.pdf.download.pdf/Strat%C3%A9gie%20nationale%20Addictions.pdf