Remarques et commentaires
à propos du dépliant «votez oui» distribué par les partisans du projet Grohe-109 et de l'expo qu'il accompagne

plaque

Préliminairement, il faut dire que le dépliant en question et l’exposition qu’il accompagne, s’ils sont au moins présentés de façon claire, dénotent d’une cruelle indigence quant à la qualité de «l’information» délivrée : arguments creux, affirmations non-étayées, chiffres sans ancrage vérifiable, énoncés de projets vagues permettant d’imaginer tout et son contraire, l’ensemble fait plus penser à une promo de quinzaine dans un supermarché… Peu convaincant pour un tel enjeu, peu motivant pour une population curieuse et concernée. Pour le dire en termes plus directs, il semble que l’on nous prend pour des c… !

 

Depuis son rachat par la Ville en 1988, le Château de l’Aile se dégrade sans qu’aucune restauration n’ait été entreprise, faute de projet viable.

Étrange argument qui ne peut au mieux que souligner l’incurie des diverses personnalités qui se sont succédées à la Municipalité durant tout ce temps car, d’une part, la restauration et l’entretien d’un monument historique est en soi un projet qui se suffit à lui-même et, d’autre part, si ces travaux avaient été régulièrement effectués au gré des besoins du bâtiment depuis 1988, il ne serait pas aujourd’hui question d’un coût de restauration si élevé que celui présenté. Ou alors, selon le même principe, allons jusqu’au bout de la logique (façon quartier du Rôtillon à Lausanne), attendons encore, jusqu’à ce qu’il soit finalement décrété que faute de projet viable il faudra impérativement raser au plus vite cette ruine devenue dangereuse… !

Insister avec une telle force sur l’obligation faite à M. Grohe de rénover le château, et sur le scrupuleux respect des directives des Monuments Historiques par les architectes mandatés tient de la technique de prestidigitation : regardez donc là pendant que je manipule ici… Car enfin, qui aurait l’idée farfelue d’argumenter pour un projet propre à dénaturer le château ? La préservation de l’intégrité du bâtiment est bien le moins qui soit exigible. Mais le véritable enjeu, tranquillement escamoté, est celui de la destination finale de ce château : un monument historique en mains privées au cœur de la place et de la vie publique de la Commune ! Une part importante du patrimoine veveysan perdu pour la population ! Si M. Grohe avait promis de le rénover par seul amour désintéressé du patrimoine et de le restituer à la Commune après (même dans une fiction, on n’oserait pas… !), il n’y aurait quasiment rien à redire. Seulement, M. Grohe n’est pas un mécène, ni un doux rêveur philanthrope, mais un homme d’affaires (sans doute bien avisé).

 

La Municipalité, soutenue par une très large majorité du Conseil communal propose :
1.
(…)
de vendre la parcelle du Rivage à Projet109 (…). En vertu du contrat de vente, la société Projet109 s’engage à créer des espaces publics.

Ah bon… Mais ces espaces publics, ils existent déjà ! Le restaurant, les Jardins, tout ceci est là et tout le monde peut y aller ! En quoi le fait de vendre cet emplacement inestimable à une société privée, donc de le soustraire au bien communal, constituerait un quelconque avantage ? Une fois le bénéfice de la vente dilué dans les comptes de l’exercice annuel, qu’en aurons-nous de plus ? Tandis qu’un bon investissement communal permettrait à plus long terme d’en dégager de bons profits…

 

La salle Del Castillo et les salles à disposition des sociétés locales restent la propriété de la Ville de Vevey.

C’est bien, bravo ! Avant, la Ville possède un magnifique château et un restaurant placés dans un endroit exceptionnel et qui, bien mis en valeur, peuvent lui rapporter une importante quantité de touristes, donc de gains. Après, les lieux sont toujours là, mais le Château est habité par quelques privilégiés et le restaurant profite à une société privée. Beau calcul, belle vision à long terme…

 

La meilleure solution pour le Château.
Pour que Vevey redécouvre un Château digne des cartes postales,(…)

Voilà bien révélé tout l’esprit qui sous-tend le projet : une carte postale, un objet figé et sans vie !
- Regardez, bon peuple docile, rêvez devant le beau château, mais ne songez surtout pas à avoir le droit d’en jouir, c’est seulement pour les grands !
Donc, il ne sera pas possible d’y accéder, mais nul doute que des cartes postales seront réalisées et mises en vente : Vevey, ville d’images…

On nous dit que la rénovation sera faite (…), en dehors de tout souci de rentabilité. Dans le cas de travaux réalisés sous l’égide des pouvoirs publics, ceci représenterait un louable gage de sérieux et de qualité. De la part d’un promoteur privé, sans mettre en doute son réel désir de qualité, cela laisse surtout augurer que le résultat final sera un objet de grand luxe, voire de spéculation, définitivement hors d’atteinte pour le commun des habitants de la Ville, qui pourront admirer de l’extérieur cette belle bâtisse comme ils peuvent le faire en traversant certains quartiers résidentiels… Est-ce bien là une perspective moderne et souhaitable ?

 

M. Bernd Grohe s’est engagé par écrit à faire classer le Château de l’Aile aux Monuments Historiques. Il ne demandera aucune subvention publique.

Encore une fois, arguments de pure poudre aux yeux :
1. Le classement aurait déjà dû être fait à l’achat du bâtiment par la Ville en 1988, et ne pas l’avoir fait s’apparente au minimum à de l’incompétence sinon à une scandaleuse désinvolture.
2. Tant mieux pour lui et pour nous si M. Grohe dispose de moyens qui lui permettent de ne pas avoir recours aux subventions, mais là n’est pas le cœur du problème, car les veveysans seront bien aise de savoir que le château est classé et rénové s’ils ne peuvent en profiter !

Et le fait de ne pas demander de subvention n’est-il pas la meilleure garantie de n’avoir aucun compte à rendre en cas d’opération immobilière ultérieure (comme par exemple une revente) ?

 

Projet 109 investit 11 millions pour faire revivre le Rivage avec :

  1. un café-restaurant ouvert à tous (…) Il semblerait que ceci existe déjà, non ? Si les actuels gérants ne sont pas bons, il faut simplement en engager d’autres…
  2. une unité d’accueil pour les écoliers (200 m2) (…) Là, l’argument est imparable ! qui oserait contester la pertinence d’un lieu d’accueil pour les enfants ? et ça permet de ne pas regarder de trop près si la chose se justifie précisément à cet endroit ou s’il ne vaudrait pas mieux la réaliser ailleurs. (Ceci dit, un accueil pour les enfants, pourquoi pas ?)
  3. Un centre de formation et de promotion du développement durable. En soi, ceci n’est certes pas contestable, mais d’une part rien de concret ne nous est proposé (qu’impliquera donc réellement ce centre ?), et d’autre part il semble ici qu’il s’agisse surtout de surfer sur une vague à la mode pour séduire à bon compte…
  4. Un espace culturel (…) en adéquation avec les besoins de la Ville. Eh bien, ça, c’est de la belle argumentation ! Et de quoi peut-il bien être question ? Pas la peine de préciser, ferme les yeux et ouvre la bouche, le Monsieur a dit qu’il faut lui faire confiance !…
  5. Des logements familiaux Mêmes remarques qu’aux trois points précédents, et cerise sur le gâteau du multipack démagogique…
  6. Un foyer convivial (…) Comme pour le reste, rien d’original, rien d’ambitieux, rien de motivant, rien que de très «minimum syndical», le moins qu’il soit décemment possible de présenter pour tenter de justifier (camoufler ?) une banale opération immobilière…

Et, accessoirement, nous sommes très peinés d’apprendre que l’espace du Rivage était mort…

 

Il est faux de dire que le Château est vendu 1 franc sans préciser que cette vente est assortie d’une obligation pour l’acheteur de le restaurer à ses frais (budget de fr. 19 millions)

Personne ne veut escamoter cette obligation de restauration, il serait même assez stupéfiant qu’elle n’existe pas !
Mais, quoi qu’il en soit, est-il faux de dire que, à la fin, le Château sera vendu ? Non.
Donc qu’il échappera au patrimoine communal ? Non plus.
Et, est-il faux de dire que cette «vente» sera conclue pour la somme de fr. 1.- ? Non, toujours.
Donc, est-il malhonnête d’insister sur le fait qu’un monument unique en son genre sera soustrait à la richesse publique en pure perte ?…
Tant qu’à admettre le fait (en soi extrêmement discutable) de vendre ce château à des intérêts privés, il eut fallu que ceci puisse au moins rapporter à la Ville de Vevey le montant exact de sa valeur réelle, c’est-à-dire après restauration.
Et l’argument de l’économie ainsi réalisée ne tient pas puisqu’en fin de compte, quel que soit l’angle par lequel on aborde la question, un monument de grande valeur disparaîtra des possessions communales : non seulement la vente ne rapportera rien, mais en plus nous perdrons la valeur du Château ! Ce n’est pas une économie, mais une perte.
Quant aux 19 millions annoncés, une contre-expertise permettrait de se faire une meilleure idée de la justesse de ce chiffre donné en pâture au bon peuple qui paye ses impôts …

 

Les opposants prétendent que le Rivage est vendu fr. 540.-/m2, moins de 20% d’un terrain pareillement situé…
Ce chiffre est faux. Il est obtenu en divisant le prix d’achat du Rivage par l’addition de la surface de cette parcelle …à celle du Château de l’Aile !

Reconnaissons-le quand on se trompe : non seulement cette remarque sur le prix réel du mètre carré est parfaitement exacte, mais elle souligne d’autant mieux à quel point d’aberration se situe le raisonnement de la Municipalité : non seulement elle vend des terrains idéalement situés pour un petit profit à très court terme, mais comme si cela ne suffisait pas, elle fait cadeau de la plus grosse partie !…

 

N’oublions pas que le Château de l’Aile représente 19 millions d’investissement.

Oui, il paraît… Et après ? La remarque est simplement hors sujet : en quoi cet argument justifierait-il de brader le terrain communal ? S’il fallait qu’au final M. Grohe investisse 50 millions au lieu de 19, la Commune lui verserait-elle en plus une subvention pour compenser ? Restons un peu sérieux, que diable !

 

Cela fait 19 ans que la Ville de Vevey cherche une affectation ou des repreneurs pour le Château de l’Aile. Faute de travaux d’envergure, le château tombe en ruine. Ce qui explique l’ampleur des travaux prévus.

Quel formidable aveu d’incapacité ! Quelles terribles preuves d’incompétence et de manque d’imagination pour la Ville !
- Nous avons été tellement nuls que vous devrez dire adieu à votre château. Pardon, désolés, mais on ne savait pas quoi en faire, alors vous serez spoliés… !
Et, encore une fois, un monument historique doit être entretenu avant tout pour lui-même, et pas dans le but d’en faire ceci ou cela. Le débat éventuel sur son affectation ne peut avoir lieu qu’après !

 

Les experts et les milieux spécialisés sont formels : une affectation publique du Château de l’Aile est impossible sans anéantir sa valeur historique.

Evidemment, à tout prendre, il vaut mieux lire ceci que d’être aveugle. Mais tout de même… ! Au temps de la création du chemin de fer, les experts et les milieux spécialisés étaient tout aussi formels : la vitesse de 50 km/h ne pourra jamais être supportée par l’organisme humain… C’est bien d’affirmer, encore faudrait-il présenter l’ombre du début d’un argument plausible. Le Musée de l’Elysée, à Lausanne, a-t-il anéanti la valeur historique du bâtiment qui l’accueille ? La Fondation de l’Hermitage est-elle abritée par une pauvre maison réduite au statut de baraquement de foire ? Le Château de Chillon n’est-il plus qu’un décor en carton pâte pour touristes en mal d’exotisme ? Pour ne citer que ces proches exemples parmi tant d’autres. Tout au contraire, ces lieux ont été rénovés dans le plus grand respect de leur intégrité historique, et le fait qu’ils sont fréquentés par le public est la garantie même de l’exigence d’un entretien de la plus haute qualité.

Mais il est vrai que de dire «les experts et les milieux spécialisés sont formels» apporte un véritable vernis de crédibilité, rigoureux, parfait, incontestable, et qui exonère d’avoir à s’embêter avec l’encombrant soucis de vraisemblance… Un peu comme dans une publicité pour n’importe quel article cosmétique, où l’on peut voir un comédien qui porte une blouse blanche et des grosses lunettes pour nous faire croire qu’il est un grand docteur.

Quels experts ? quels milieux spécialisés ? quelle étude à été réalisée ? et dans quelles conditions ? sous quels impératifs ? Sans réponse précise à ceci, nous ne pourrons que considérer que l’on se fiche ouvertement des citoyens.

 

Les opposants laissent entendre que la Ville de Vevey devrait rénover l’enveloppe extérieure du Château pour 6.5 millions.
1. En restaurant simplement les façades, il faudrait louer chaque appartement de 300m2 entre 10'000 et 20'000 francs par mois, sans aucune amélioration des logements pour les locataires : juste pour rentabiliser cette dépense d’entretien extérieure illusoire.

Il suffit de regarder l’état actuel des façades pour juger de la nature prétendument illusoire d’un ravalement, mais bon, bref…
Si ces estimations de loyers sont exactes, il s’agit peut-être là d’un des meilleurs arguments à avancer pour confirmer que le Château de l’Aile ne peut pas devenir autre chose qu’un lieu public !
Il a été dit que le but n’est absolument pas de créer là des logements de luxe. Avec des appartements de 300 m2 dans un château néo-gothique ?… Peut-être M. Grohe prévoit-il d’en faire des logements sociaux subventionnés ?… (dans ce cas je m’inscris pour en bénéficier !)

 

Il a également été avancé comme argument, par l’une des personnes expliquant l’exposition aux visiteurs, toujours pour faire croire que l’on ne veut pas créer des logements de luxe, en guise de preuve irréfutable, que ce projet ne prévoit pas de créer un parking souterrain. Effectivement, il vaut mieux que les véhicules des futurs habitants et utilisateurs de ces lieux viennent s’empiler parmi ceux qui encombrent déjà la Place du Marché. Finement raisonné…

Une question : les citoyens ont-ils aussi manifestement l’air d’être idiots, pour qu’on essaie de leur faire avaler des trucs aussi gros ?

 

Autre argument avancé pour faire miroiter les prétendus avantages de ce projet, la mise du château aux normes écologiques du label ‘Minergie’. Ce n’est plus aujourd’hui une chose à vanter comme un avantage, mais il s’agirait plutôt de ne pas prêter attention aux projets qui n’intégreraient pas ce genre de normes devenues incontournables pour tout entrepreneur un tant soit peu responsable. (Et puis, pour faire du mauvais esprit : «les experts et les milieux spécialisés» sont-ils formels quant à l’impact de ces mesures sur la valeur historique du bâtiment ?… )

 

Sans vouloir faire de procès d’intention quant aux options esthétiques et architecturales de nos autorités, peut-on vraiment avoir confiance dans un projet soutenu par une Municipalité dont les divers membres, au fil des législatures, ont permis d’enlaidir Vevey en laissant bâtir des choses aussi honteuses que l’aménagement de l’Avenue Guisan, le Centre Panorama, ou, plus récemment, le Quai Maria-Belgia ou le complexe Midi-Coindet, pour ne citer que ceci parmi une multitude d’horreurs ?…

 

Beaucoup de chiffres sont présentés sans explications développées, beaucoup d’arguments sont assénés sans le moindre début de justification, comment serait-il possible de se faire une idée juste de tout ceci sans pouvoir juger à partir d’études comparées ? Si le projet Grohe-109 est si idéal et si imparable, il ne devrait pas souffrir de présenter ses propres arguments de façon précise, et également les arguments détaillés de ses contradicteurs, afin que chacun puisse décider en toute conscience de ce qui est le mieux.

 

On veut nous faire peur en brandissant la menace de devoir passer à la caisse si le projet est refusé. Mais est-il vraiment garanti qu’une fois accepté ce projet ne causera pas de frais «imprévus» à la charge des contribuables ? Et, d’une part, si ce projet est refusé, il pourra au moins permettre d’en proposer un meilleur et, d’autre part, si les veveysans acceptent ce projet, à défaut de devoir passer à la caisse ils seront délestés d’une part importante de leur patrimoine. Vaut-il mieux devoir payer pour investir dans la restauration d’un joyau ou accepter de se le faire voler ?

 

En conclusion, force est d’admettre que les «avantages» proposés avec ce projet sont creux, opportunistes, sans ambition, sans originalité et ne justifient pas d’accepter de donner ce château à un promoteur. Il y a malgré tout dans ce projet quelques idées qui ont en soi un intérêt certain, soyons justes, mais qui n’ont honnêtement rien à faire avec le Château de l’Aile ou le Restaurant du Rivage.

 

Un rejet de ce projet Grohe-109 est actuellement la seule décision cohérente à prendre : à la fois pour sauvegarder un bien public et pour avoir l’occasion de présenter un vrai projet de mise en valeur de cet îlot d’exception au cœur de Vevey.

Ce texte nous a été transmis par un «libre opposant» et n'engage pas le groupe Alternatives (31 mai 2007)

Retour à l'accueil
Haut de page