Election partielle la Municipalité de Vevey

D'un tour à l'autre, et de 2011 à 2015

Lorsque début mars 2015, Marcel Martin a démissionné, nous n’attendions pas grand-chose de l'élection partielle ainsi provoquée. Dans les discussions que nous avons eues autour d’une candidature d'Yvan Luccarini, nous aurions signé allègrement et des deux mains pour un résultat autour de 10 % au premier tour. C’est dire si les résultats du 14 juin nous ont surpris, «déçus en bien».

Ils auraient mérité analyse et réflexion. Mais il n’y a pas eu de temps pour cela, car il a fallu dans, des délais très brefs, se lancer à fond dans la bataille du second tour.

Et après le second tour, les commentaires ont assez naturellement pris comme base les résultats du premier, et ont essentiellement porté sur les reports de voix entre les deux tours. Et pourtant ce qui s’est passé au premier tour et avant est au moins aussi important. Il est temps d'y revenir.

2015, d’un tour à l’autre

Malgré tout, je commence par ce qui s’est passé entre les deux tours, (sans grandes divergences avec l’analyse de Lyonel Kaufmann, http://www.politis.ch/carnets/2015/07/05/analyse-le-retour-de-jerome-christen-a-la-municipalite-de-vevey/#comment-4751).

Le tableau ci-dessous, aussi synthétique et complet que je l’ai pu, résume les résultats des deux tours.

La colonne «potentiel» rend simplement compte des ralliements du deuxième tour, soit du PDC local à Patrick Bertschy et du PS et des Verts à Yvan Luccarini. Le tiercé dans l’ordre aurait donc «dû» être Luccarini, Bertschy, Christen. On sait que ce n’est pas le résultat final. Pourquoi ?

Répondre à cette question sur la base du tableau ci-dessus suppose que les deux tours soient comparables, que ce sont dans une large mesure les mêmes électeurs qui se sont déplacés les deux fois. Le taux de participation étant resté aussi misérable au deuxième tour (3568 votant·e·s, 29 %) qu’au premier (3534 votant·e·s, 28.86 %), on peut admettre que c’est raisonnablement le cas.

- Patrick Bertschy a perdu 1.72 % par rapport à son potentiel. Il est logique de penser que c’est pour l’essentiel au sein de l’électorat PDC du premier tour; on ne voit pas en effet ce qui aurait pu dissuader les électeurs de Patrick Bertschy au premier tour de réitérer au second: il n’y a pas eu d’inflexion de la campagne qui aurait pu leur déplaire. Cela signifie qu’environ un petit cinquième des électeurs PDC du premier tour (1.72 % sur 8.82 %) a voté pour un autre candidat, très probablement Jérôme Christen, sur la base des consignes cantonales opposées à celles du parti local. Cette proportion est faible, et les électeurs PDC ont plutôt bien suivi les consignes de leur parti.

- Yvan Luccarini perd lui 2.52 %. On voit que les votes «directs» pour lui ont passé de 719 au premier tour (liste Décroissance) à 566 au second (liste Décroissance-Alternative), mais ce n’est probablement là que se situe la perte: au premier tour, une seule liste portait son nom, et on ne voit pas ce qui dans la campagne d’Yvan Luccarini aurait pu déplaire à ses électeurs les plus proches.

Bien plus probablement, ce différentiel de 2.52 % est à chercher parmi les électeurs de Pierre Butty au premier tour, et plutôt parmi les socialistes que parmi Les Verts: les thèmes de campagne d’Yvan Luccarini sont en effet plus familiers à l’électorat Vert, qu’à l’électorat socialiste, nourri idéologiquement au biberon du «partage des fruits de la croissance». Un facteur moins politique a pu jouer dans le même sens: dans une logique «tout sauf Bertschy», la carte Christen a pu paraître – à tort ! – plus sûre que la carte Luccarini.

Mais là encore, la perte est faible (2.52 % sur 15.22 %, soit un sixième). On peut en créditer la discipline de l’électorat socialiste, mais il faut aussi souligner qu’Yvan Luccarini a fait une réelle campagne de deuxième tour, abordant dans son tout ménage des sujets qu’il n’avait pas mis en avant au premier (finances, entretien du patrimoine, jeunesse, personnel communal, culture, intégration, urbanisme…), répondant ainsi mieux aux préoccupations d'un électorat de gauche classique (même si les propositions faites sur ces sujets ne sont pas toujours celles que fait la gauche classique !).

- Jérôme Christen augmente, lui, son score de 5.78 %. Même si tou·te·s les électeurs·trices de droite peu séduit·e·s par Patrick Bertschy et tout·te·s celles et ceux de gauche pas convaincu·e·s par Yvan Luccarini s'étaient rabattu·e·s sur lui, le compte n’y est pas: 1.72% + 2.52% ne font que 4.24 %, ce qui n’aurait amené Jérôme Christen qu’à 32.17 % et à la deuxième place. Pour «passer l’épaule, Jérôme Christen a bénéficié de la transformation de votes blancs et épars (= vote pour des personnes non candidates) en votes en sa faveur: 97 personnes avaient voté blanc au premier tour, elles ne sont plus que 49 au second, et les 8 votes épars ne sont plus que 3, c’est ce qui lui apporte les 1.54 % manquants.

Le tableau nous montre encore qu’il y avait au premier tour 137 votes «inopérants» (nuls, blancs et épars), et qu’ils ne sont plus que 69 au second. Comme 34 personnes de plus ont voté, le nombre de votes «ayant eu un effet» augmente de quelque 100 (de 3397 à 3499). Cela est-il significatif ? de quoi ?

Le premier tour 2015 et les élections de 2011

Comme dit plus haut, le premier tour n’a guère été analysé. Et pourtant une comparaison avec les élections de 2011 met en évidence des évolutions importantes, et met sur la table une série de questions qu’il faut se poser dans la perspective des élections générales de 2016 (conseil communal et municipalité premier tour: 28 février 2016 !!).

Dans ce but, les deux tableaux ci-dessous tentent de rendre comparables les résultats de 2011 et ceux du premier tour 2015. Ce n’est pas évident, car une élection de toute la municipalité au suffrage majoritaire – où chaque bulletin de vote peut valoir de 1 à 5 suffrages, selon comment il est rempli – ne fonctionne pas de la même façon qu’une élection partielle où chaque bulletin ne vaut qu’un suffrage, ou encore qu’une élection au système proportionnel (conseil communal 2011). Les tableaux 2 et 3 sont donc tous deux inexacts, mais de façon différente. L’intérêt est que les évolutions qu’ils mettent en évidence sont semblables.

- Patrick Bertschy, avec ses 24.21 % au premier tour ne fait pas un résultat canon, compte tenu de l’appui de l’UDC, qui lui donnait un potentiel de l’ordre de 32 % (20-22 % pour le PLR + 10-11 % pour l’UDC). On peut penser qu’en l’absence de candidat UDC, une partie de l’électorat de ce parti ne s’est pas mobilisée, ni au premier, ni au second tour. Et / ou que la personnalité du candidat n’a pas convaincu dans son camp.

- Martino Rizzelo fait un résultat étonnamment bon, au-delà des 7 % ou moins du PDC, ce d’autant plus que sa campagne n’a pas été particulièrement convaincante. On peut y voir l’apport d’électeurs désireux de voter à droite, mais pas pour Patrick Bertschy. Les 1.72 % évoqués ci-dessus, qui manquent à Patrick Bertschy dans le report des voix du PDC, l’auraient ainsi déjà abandonné au premier tour, et le vote Rizzelo au premier tour n’aurait été pour certains électeurs·trices de droite qu’une étape vers le vote Christen au second.

- Jérôme Christen en tête du premier tour avec 27.93 %, fait un résultat très largement supérieur aux quelque 13 % de Vevey libre en 2011(+15%). Il a pris tant à droite (une partie des 7-8 % manquant à Patrick Bertschy) qu’à gauche (voir ci-après)

- On a évidemment beaucoup commenté l'énorme résultat d’Yvan Luccarini, et son presque 21 %, très au-dessus de ses résultats de 2011 comme des résultats d’Alternatives (7-8 %). Probablement à juste titre, on a invoqué la campagne référendaire contre le plan de quartier Savoie, ou Yvan Luccarini a été très actif. Plus généralement, ce résultat est l’expression d’un besoin de renouveau à gauche, alors que le PS est identifié à une majorité municipale usée, en perte de vitesse et à qui plus grand-chose ne réussit. Mais c’est aussi le résultat d’une campagne bien menée, fraîche et sincère.

- Enfin et surtout: il peut paraître évident que le très mauvais résultat du candidat PS-Verts Pierre Butty (15.22 %) est le corollaire du résultat d’Yvan Luccarini, qu’il s’agit d’un simple mouvement de bascule. Mais c’est faux ! La gauche au premier tour 2015 ne fait que 37 % (tableaux 2 et 3). C’est très en dessous des résultats de 2011, où elle frisait, voire dépassait, les 50 %, selon le mode de calcul. Une quinzaine de pour-cent (entre 13 % et 18 %) manquent à l’appel, qui sont tombés pour une bonne partie – au premier tour déjà ! – dans l’escarcelle de Jérôme Christen. Et le manque de charisme du candidat ne peut pas expliquer un tel mouvement.

En guise de conclusions… partielles et provisoires

On peut être d’accord avec Lyonel Kaufman quand il affirme dans le billet déjà cité «qu’au final, ce résultat étriqué ne donne aucune indication claire par rapport à l’élection générale de 2016». On peut en effet penser que ces résultats sont hors normes, propres à une élection partielle, et que les élections générales – cinq municipaux et le conseil communal – «remettront les pendules à l’heure» en 2016; ou être de l’avis contraire. Rien ne permet réellement de trancher.

Cependant, la chute des suffrages pour le PS et Les Verts, telle que mise en évidence ci-dessus, est trop importante pour être strictement anecdotique. Nul doute que chaque «camp» et partie de camp va y réfléchir ces prochains mois  !

En ce qui nous concerne – Alternatives et Alternatives + Décroisance – les 729 bulletins du premier tour (20.1 %) et plus encore les 566 bulletins du second (16.50 %, en soulignant que ce bulletin était le deuxième portant le nom de Luccarini qui tombait sous la main, et que le prendre était clairement le fruit d’un choix) nous confèrent certaines responsabilités. Sans jouer à la grenouille de la fable, nous devons ensemble préparer une réponse à la hauteur des attentes qu’a manifestées cette part de l’électorat.

A. Gonthier (16 juillet 2015)

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